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Dépressif
3 octobre 2011

Peur

Comme à l'accoutumée, désormais, j'ai peur. L'anxieté ne me quitte presque plus. Mon congé maladie est indispensable : je ne suis plus du tout en l'état de travailler. Le travail, l'idée même d'un quelconque travail, ou plus exactement de la relation-client qui y est nécessairement lié, vu que je travaille à mon propre compte, me terrorise.

Lundi est arrivé. Premier lundi du mois. Je me doute que j'ai des emails qui attendent leur lecture sur mon compte professionnel. Je n'ai qu'un bouton à presser pour y accéder. Et je n'y arrive pas. Je sais bien que ça ne me tuerait pas. Et si un rien pouvait résoudre un problème d'un client, je pourrais rapidement me rendre utile. Mais non.

Ma tendance désormais pathologique au perfectionnisme me pousse à en faire trop. Beaucoup trop. Je vois chacune de mes missions comme un problème que je suis amené à résoudre. Le client vient donc me voir avec un problème, et compte sur moi pour lui apporter une solution. Les solutions que je propose sont toujours bonnes. Je me sens compétent dans mon métier, dans lequel j'ai une longue expérience. Le souci ? Mes solutions sont bonnes... à l'excès. En effet, non seulement je cherche à satisfaire le besoin exposé par le client, mais étudie aussi les conséquences des principales solutions possibles afin de choisir la meilleure pour le besoin exprimé, en rapport avec les us et coutumes de mon métier, ou encore les standards de l'industrie. Pire. J'anticipe les attentes à venir du client.

Autant dire que j'essaye de parer à toute éventualité, de ne jamais être pris au dépourvu. Une mission impossible. Et donc, une mission dans laquelle j'échoue systématiquement. Car quel que soit le résultat obtenu, il n'est jamais satisfaisant à mes yeux. Car tout juste bon, ou même bon, sont inacceptables. Oh, pas pour le client, non ! Les clients se satisfont de peu ; moi, en revanche, je ne suis que rarement fier de ce que j'ai fait, voyant tout ce que j'aurais pu faire de mieux, de plus, toutes les erreurs ou pertes de temps que j'aurais pu éviter, en théorie.

Tenez, un exemple.

Un jour, un prospect m'a contacté pour un devis. Je lui ai demandé son budget. Il n'a pas souhaité me répondre. Je lui ai demandé ses attentes, sans plus de résultats. Me voici donc face à un prospect qui refuse de définir ses besoins et son budget. À moi de le surprendre. Je commence donc mon enquête sur le prospect. Découvert son activité, son chiffre d'affaires, son résultat net. Etudié les qualités de son entreprise, ses points faibles. J'ai enchaîné sur ses concurrents. J'en ai déduit que le prospect faisait énormément plus d'efforts que ses concurrents pour des résultats moindres, pour cause d'une stratégie inadaptée.

Près de 39 heures de travail pour faire un devis détaillé, documenté et argumenté. Le prospect ne l'a même pas lu. Il a juste vu que ma proposition minimale était cinq fois supérieure à son maximum. Car en réalité, il avait déjà prévu le budget, et avait juste refusé de me le communiquer dans l'espoir que je lui propose moins. On en est resté là.

Pfff...

En fait, j'espère obtenir de la reconnaissance de la part de mes clients. J'ai une tendance pathologique à espérer cette reconnaissance. Or, je ne peux l'obtenir. Je veux dire : ce n'est pas dans une relation commerciale de prestataire à client que je vais obtenir ce que je cherche. C'est absurde ! J'ai beau moi-même être parfaitement satisfait d'innombrables produits ou services, je ne suis pas pour autant reconnaissant envers ceux qui me les vendent. Alors pourquoi diable mes propres clients devraient-ils me témoigner de la reconnaissance, quelle que soit la qualité du travail fourni ?

En réalité, en lieu et place de reconnaissance, j'obtiens des reproches. Certes, cela ne concerne qu'une faible part de mes clients, jusqu'ici, mais ce sont les reproches qui me touchent le plus, et me détruisent. Et cela me touche d'autant plus que les reproches ne sont pas justifiés.

Je lisais l'autre jour une étude. Sur Internet, pour trois avis positifs exprimés, onze avis négatifs apparaissent aussitôt. Autant dire que l'essentiel des clients ne dit mot. Et ceux qui s'expriment disent du mal, expriment leur mécontentement, leur frustration. Le client satisfait trouve cela tellement normal qu'il ne dit rien. Logique.

Argh...

L'autre client, là, à qui j'ai livré onze fois plus que ce qui était convenu... Il refuse de me régler la prestation. En fait, ce n'est pas tant qu'il refuse. C'est juste que depuis l'envoi, il a coupé tout contact. Au-delà de deux fois de retard, et face à l'impossibilité de la moindre communication, il faut changer d'approche. Tant pis. Dès demain, ça passe en recouvrement judiciaire. Ça fait une semaine, sinon deux, que la lettre est prête à être postée, je la réimprime à chaque fois avec la date du jour, reportant sans cesse au lendemain. J'ai beau être en congé maladie, ma boîte a des frais, et le peu que je peux faire, c'est envoyer un courrier recommandé à un mauvais payeur. Parce que mine de rien, malade ou pas, ma boîte a des frais que je ne peux laisser s'accumuler à l'infini.

À l'origine, ce client a obtenu quatre fois plus que ce qu'il avait commandé. La qualité ? Supérieure à ce qui se fait sur le marché. Certes, il y a eu un léger retard au démarrage, et je l'avais moult fois prévenu de la difficulté à initier le projet du fait de ses particularités, mais qu'une fois lancé, celui-ci serait fait tel que prévu. C'est le prétexte qu'il a utilisé en boucle pour me relancer et en obtenir plus. Toujours plus. Plus vite. Plus. Plus vite. Plus. Plus. Plus... J'ai fini par lui fournir onze fois plus que la commande initiale, et finir la mission plusieurs semaines avant échéance. Il continuait à en réclamer davantage.

En réalité, c'est juste un intermédiaire entre le client final et moi, mais sans comprendre ce que le client lui commande, et ce que le prestataire lui fournit. Il en résulte qu'il promet des choses impossibles au client, et surtout des choses qui ne correspondent pas à mes engagements, pas plus qu'à la moindre réalité économique. J'ai fini par demander leur avis à deux confrères. Tous deux ont été catégoriques : mon client a été servi comme un roi. Bref, après avoir multiplié par onze la quantité de travail fourni, j'ai décidé d'arrêter les frais.

Hum...

Mon anxiété et ma dépression me font ressortir les pires moments de mon travail, et de ma relation-client. Or, je le sais : l'essentiel de mes clients sont sympathiques, voire même très sympathiques et tout à fait bienveillants. On s'apprécie mutuellement, je pense, ou du moins nous entretenons des relations cordiales, neutres. Certains sont des amis. Et pourtant. J'en ai désormais peur. La notion même de client engendre en moi l'effroi.

J'ai peur à en avoir peur d'aller me coucher, le soir venu. Car si je me couche, au réveil, il sera « demain ». Et « demain », un client risque de me contacter. Ou plutôt, comme je suis en arrêt maladie, je passerai ma journée à culpabiliser de ne pas lire mes emails professionnels, ou répondre au téléphone. Et une fois réveillé ? Je me rendors.

En réalité, je dors mal. Très mal. Comme je n'arrive pas à m'endormir à une heure raisonnable, je m'endors au petit matin. Et dormir le jour n'est pas très bon. Autant Lyon est une ville calme, la nuit, autant le jour, c'est une vraie fourmilière ! Le bruit de la rue, des voisins, de tout et de n'importe quoi. Et la peur. Je me réveille toutes les heures, peut-être toutes les deux heures. Je ne sais pas. Puis je me rendors, épuisé, appeuré d'avoir à affronter la journée. La culpabilité. Les clients. Aussi bienveillants, soient-ils. La culpabilité d'être inutile.

J'ai peur.

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